Elle peut être considérée comme la pionnière de l’art du textile.
Sheila Hicks, dont on a pu voir dernièrement les œuvres au Musée Georges Pompidou, s’inscrit dans cette lignée.
Une forme d’art aujourd’hui largement connue et reconnue.
Chiaru Shiota et Olga de Amaral en sont les emblématiques représentantes contemporaines.
Deux importantes expositions leur rendent pleinement hommage.
Honneur à l’aînée ,Olga de Amaral,
Sublimée dans le cadre de la Fondation Cartier et la scénographie de Lina Ghotmeh.
Première grande rétrospective en Europe pour cette artiste nonagénaire née en Colombie.
Dès l’entrée de la grande salle, nous toisent de monumentales « tapisseries » composées de milliers de morceaux de tissus.
Impressionnantes, érigées telles de hauts murs, elles jouent de la transparence des immenses baies vitrées ouvrant sur le jardin. Le caractère minéral des très belles pierres posées à leur pied parfait ce saisissant contraste.
Absolument spectaculaire.
Telle une bruine aux couleurs éclatantes, évoquant le Mexique, ou d’une blancheur suave, elles invitent à une déambulation d’une grande douceur, offrent une surprenante diversité de points de vue.
le mystère vous enveloppe.
Une colonne de fils s’érige, au mur, des panneaux composés d’entrelacs de fibres végétales font références aux cultures indiennes.
Autant de « Liens » entretenus avec la nature, les paysages, les civilisations de son continent.
Dans un crescendo d’émotions esthétiques, l’opalescence de
« Luz blanca «
les reflets aquatiques mouvants de « Strata aqua » rivalisent de beauté avec toutes les œuvres recouvertes de feuilles d’or tel « Cesta lunar »
« Cestat Lunar »
Grand panneau sur papier japonais, feuilles d’or et palladium.
Frémissements et vibrations palpitent en surface.
En émane une forme d’immanence, un véritable dépassement.
Totems oniriques ? Mégalithes or ? Menhirs ?
Stellaires, les dernières œuvres exposées se dressent en arc de cercle.
Disposées dans la pénombre, elles subjuguent, fascinent, nous interrogent pour atteindre à une troublant spiritualité.
Elle porte son art à hauteur de l’ineffable.
Conduit au recueillement, élève le spectateur.
Précieux et rare moment d’intense émotion artistique.
La japonaise Chiaru Shiota, de beaucoup sa cadette, a déjà atteint à la reconnaissance internationale : en France, Antoine de Galbert lui a consacré sa première grande exposition, à La Maison Rouge en 2011 où l’a découverte Lulu.
En 2017, pour les fêtes, ses œuvres occupent les vitrines du Bon Marché, le grand magasin de la Rive Gauche. Plus révélatrice encore de sa notoriété, les amateurs de sports d’hiver la retrouvent jusque dans une galerie de Gstaad en 2023.
Le gigantisme caractérise sa rétrospective au Grand Palais.
S’y déploie la totalité de son parcours artistique dans la mise scène de Mami Kataoka, directrice du Mori Art Museum de Tokyo, commissaire de l’exposition.
Débutée au Japon, la carrière de l’artiste se poursuit en Australie où elle abandonne la peinture à vingt ans et se livre à son premier « acte d’expression corporelle » en s’enroulant dans une toile couverte de peinture «écarlate ». « Becoming painting ».
A Brunswick, avec Marina Abramovic, elle poursuit des expériences corporelles touchant à l’extrême,
A Berlin, elle étudie avec Rebecca Horn.
C’est là qu’elle réalise ses premiers « tissages » composés de fils enroulés sur son corps avant de réaliser, en 2002
« In Silence » première installation monumentale, sinistre souvenir de l’incendie qui ravagea la maison voisine de son enfance au Japon.
Son incurable sentiment d’exil : un déluge de valises suspendues à ces fils rouges venant du plafond « Searching for destination ».
La sensation « d’être bloquée dans cet entre-deux ...incapable de transcender cette frontière de ma peau » donne naissance à « Inside- Outside » accumulation de vieilles fenêtres des maisons abandonnées à Berlin- Est ville d’ombres et d’horreurs.
Un sentiment obsédant de présence-absence qui se retrouve, spectaculaire dans cet alignement de robes vides mesurant 14 mètres de haut :
« Memory of Skin »
La conscience de la proximité de la vie et de la mort, ressentie lors de la récidive de son cancer :
Ces lits d’hôpital « Searching for destination »
Vécu sur une île en Island, dans un paysage de lave, le corps enveloppé de fils de laine rouge face à la vapeur qui s ‘élève : la perception d’une totale osmose avec le monde naturel.
Deux autres temps forts marquent encore les esprits avant la sortie.
Une déambulation « immersive » entre les denses faisceaux de fils de laine incarnat reliés chacun à une frêle structure de barque d’« Un certain Journey » ne peut manquer de nous interroger sur la « traversée » de notre fragile existence, ou, plus réaliste et brûlant d’actualité, le sort des émigrés.
Suspendue au-dessus du monumental escalier qui mène à la sortie, laissons nous enfin emporter par un doux rêve sous ce déploiement d’ailes à la blancheur immaculée, promesse d ‘évasion exquise. Réalisée en laine blanche, fil de fer et cordes, intitulée « Where are we going » d’une fraîcheur inattendue, l’œuvre nous surprend.
Au final, elle apporte comme un apaisant souffle d’espoir.
Tisserandes toutes deux,
Chiaru Shiota tend, noue, enchevêtre ses fils.
Davantage qu’un cocon protecteur, entremêlés dans un travail virtuose et très personnel, ses fils nous emprisonnent, nous piègent dans ses rets à l’image de ses tourments ainsi exposés.
Pas d’échappatoire.
Une artiste autocentrée.
Avec son regard résolument ouvert au monde, à ses beautés, sa diversité jusqu’à ses mystères sublimés,
Dans une appropriation nimbée de poétique beauté, Olga de Amaral nous transmet son insatiable curiosité pour accéder au « cosmique ».