« Dispersions » (« Ashes to ashes » en anglais) avec Carole Bouquet et Gérard Desarthe (Lulu de septembre 2014) a été le dernier Pinter programmé dans cette salle. Pièce particulièrement sombre, mais admirable, elle n’a pas rencontré le succès mérité.
Après un radical changement de direction, ce retour dans la salle historique de l’Oeuvre était un bonheur en soi.
Y assister à la dernière « version » de « Trahisons » signe une des meilleures soirées de la saison.
Lulu a découvert la pièce dans la version des TG STAN (juillet 2015 au Théâtre Bastille) avec Frank Vercruyssen, Jolanta de Kersmaeker et Roby Cleiren, régulièrement encensés pour leur travail si singulier, pétri d’humour, sans trahir jamais.
Cette fois pas de troupe, mais une famille :
Pour sa mise en scène Tatiana Vialle a réuni ses deux fils Swann Arlaud et Tobias Nuytten. S’y joignent Marie Kauffmann et Marc Arnaud.
Résultat remarquable.
Construit à partir d’un thème éculé: le trio femme, mari amant, Pinter nous fait remonter le temps d’une liaison adultère.
La pièce débute par les retrouvailles d’Emma et de son amant Jerry, le meilleur ami de son mari Robert.
Nous suivrons le développement de cette longue liaison amoureuse scandée par des scènes à la chronologie « inversée».
De cette première « séquence », la dernière rencontre des deux amants, émane aussitôt une tristesse diffuse. Parés d’un semblant de naturel, dissimulés par une convivialité de façade, les désenchantements sourdent, se devinent la souffrance de la rupture, des désillusions
Il en sera de même dans le jeu « pervers » des tableaux suivants, jeu étourdissant entre réunions des trois personnages au cours de soirées, des deux grands amis lors de « déjeuner entre hommes » des trois protagonistes à nouveau réunis au cours de vacances, des deux amants pour leurs rendez-vous « secrets » ou des époux batifolant allègrement.
Troublants, déroutants, ici tous les sentiments se confondent, s’inversent, se croisent. Faux-semblants dévoilés, trahisons connues, amours désenchantées hantent chacun des personnages dans toute l’économie pintérienne.
Au royaume de la causticité britannique, feutrée, à bas bruit, l’incommunicabilité accomplit ses ravages détruisant en chacun toute vaine tentative de bonheur.
Jamais n’éclate de drame au grand jour.
Avec un sens remarquable des silences et des pauses, la mise en scène de Tatiana Vialle est au scalpel, incisive, percutante, rythmée par une musique presque apaisante. Des colonnes de néons mobiles définissent rapidement les lieux dans un décor moderne où seuls changent quelques accessoires.
Swann Arlaud se révèle un Jerry d’une confondante subtilité. Mèche en bataille, sourire énigmatique, en retrait ou en amoureux éperdu, son jeu éblouit véritablement. Tout en retenue, il fascine, irradie le plateau
Marie Kauffmann, loin de démériter, séduit et touche par sa beauté et sa présence sensible.
Marc Aranaud est très juste en mari trompé mais aussi infidèle, en ami conscient de la trahison de son meilleur ami.
N’oublions pas Tobias Nuytten, serveur de trattoria bougon, énonciateur du texte de présentation :
« Une chose n’est pas nécessairement ou bien vraie ou bien fausse ; elle peut être à la fois vraie et fausse ».
La pièce qui suit nous en a donné l’illustration sans défaut.
« Pintérienne » convaincue, Lulu comblée, ne saurait trop vous recommander cette soirée si parfaitement aboutie.
Rare évènement à ne manquer sous aucun prétexte