Sans se renier, voilà Lulu soudain prise à contre-pied et...«conquise».
«Ranger», ce monologue spécialement écrit pour Jacques Weber, est un texte qui «porte».
Son interprétation y contribue pleinement.
A l’opposé de "Oui» de Thomas Bernhard, récit sur l’impossibilité d’aimer, (Lulu du 28 mai dernier).
«Ranger» traite de l’impossibilité de vivre après la mort de l’être aimé.
Regagnant sa chambre d’hôtel ultracontemporaine (mobilier Knoll, décor blanc, lumières et écrans de la dernière technologie), nous sommes à Hong-Kong redevenue chinoise.
Le comédien, «Lui», écrivain, vient de recevoir un «prix» littéraire et rentre du dîner organisé en son honneur par les autorités.
Il en fait le récit, teinté d’ironie à son interlocutrice: la photo encadrée de sa femme décédée posée sur la table.
Dans un dialogue imaginaire avec la disparue la narration entamée évoquera le parcours de toute une vie à deux. Moments heureux, malheureux, intimes, rencontres amitiés, voilà «ranger» une existence.
Force verres de whisky, prises de médicaments, et ligne de cocaïne viennent régulièrement ponctuer les passages évoqués et aboutir à cette constatation désespérée:
«Je n’en peux plus, je pense que j’arrive au bout».
Dans son costume trois pièces, cravate noire: «Pour faire ce qui te plaît», Jacques Weber, évoluant dans cette chambre, ne se séparant jamais du cadre, ne ressort de sa valise qu’un vieil ours en peluche de son épouse ,confident et témoin de tant d’évènements tragiques, cachette de sa première lettre d’amour.
Aucun sentimentalisme dans son interprétation.
Habité par les seules affres de la solitude, aussi la conscience de la vieillesse «qui éteint cette petite flamme», de l’inutilité de sa vie, le comédien sait magnifiquement nous faire partager l’accablement de ses souffrances, jusqu’à son suicide.
«J’ai voulu aider le monde… j’ai fait ce que j’ai pu, et puis je t’ai aimée ce n’est pas si mal.»
Les représentations touchent à leur fin,
Lulu tenait à chroniquer l’authenticité de ce monologue poignant.
Beauté d’un amour véritable.