Au théâtre, de Jean Genet, nous gardons le récent souvenir de l’ effroyable version des « Paravents » à l’Odéon, (juin 2024) celui, lointain, de « Splendid’s » à la Colline (mars 2016), des « Nègres » (octobre 2014) à l’Odéon encore .
Philippe Torreton, inoubliable Cyrano interné dans un asile psychiatrique, remarquable metteur en scène et interprète de Don Juan,
S’empare aujourd’hui du « Funambule », poème dédié à un jeune acrobate de dix sept ans, Abdallah Bentaga dont Genet tombe éperdument amoureux.
Devenu son « mentor », tyrannique, exigeant, il lui offrira des stages pour progresser, jusqu’à son accident qui le conduira au suicide deux ans plus tard.
Voilà prosaïquement résumée cette histoire.
D’autres dimensions, combien plus profondes et intenses en constituent la trame
Telle une ombre tutélaire, le comédien lui confère intensité et profondeur.
Sur le plateau le triste bric -à- brac d’un pauvre cirque, misérable univers de saltimbanques.
Sur un lit de camps, se devine, sous la couverture, une forme humaine endormie.
Entre « l’auteur », habillé d’un par-dessus usé, coiffé d’un vieux chapeau, nu-pieds dans ses chaussures, mégot à la main.
S’asseyant au bord du lit, il débute son « monologue » par un éloge troublant du fil de fer qu’il évoque « Comme une personne à qui l’on doit affection ».
Une personnification qu’il pousse jusqu’à le comparer à «la panthère, comme le peuple aime le sang » , établissant ce curieux rapport : « Comme il aime son danseur ».
Voilà le trouble établi : la beauté, l’amour, la mort hanteront le texte jusqu’à la fin.
La solitude « mortelle » formera encore un thème récurrent du poème, ode mortifère de l’acte artistique, incantation à la fuite de la réalité :
« Il s’invente une magie, rêver, devenir un rêve,qui deviendra rêve dans un autre rêve ».
Dans sa mise en scène, un duo silencieux s’établit entre le « récitant » et le funambule qui s’éveillera, débutera maladroitement ses premiers pas sur le fil pour terminer en apothéose dans l’exécution de figures toujours plus difficiles, périlleuses.
« Tu brilles sur le fil, tu te consumes ».
Célébration du « Pouvoir du cirque qui sont le bruit et la mort »,
Caractéristique de la fascination de Genet pour l’esquive, la fuite,
De son obsession métaphysique de la mort, de la solitude.
On regrette parfois le volume de l’accompagnement musical qui couvre la voix du comédien,
Dénuée de véritable fulgurance,
l’incantation reste d’une incontestable puissance dérangeante et subversive.
Philippe Torreton lui donne chair.