Après celle de la Comédie française en 1988 reniée par l’auteur,
l’«insipide» version avec Charles Berling et Dominique Pinon dans cette même salle en 2008,
seule la dernière vue en 2011 mise en scène par Alain Françon avec Serge Merlin, Hamm, et Jean Quentin Chatelain, Clov, (Chronique de juin 2011) était parvenue à convaincre Lulu curieuse de «découvrir» une quatrième fois l’actuelle version récipiendaire du prix Laurent Terzieff.
Avec ses quatre personnages accablés d’infirmités, (Hamm tétraplégique, aveugle, cloué sur son fauteuil roulant, ses parents estropiés chacun dans leur poubelle, Clov, le serviteur perclus), sa situation figée dans un monde en voie de disparition, «Fin de partie», pièce préférée de l’auteur, est un concentré de pessimisme, de noirceur et de désespoir.
Avec cette écriture à l’os, d’une économie radicale, ses dialogues d’une banalité déroutante, le génie de Beckett atteint à la dimension métaphysique dans son implacable dénonciation de l’inanité et la finitude de nos existences.
Sans complaisance, les rapports humains de pouvoir et d’impuissance, de dépendance et de déchéance, de prétentions et de résignation, les rituels immuables, les basses contingences matérielles sont tous évoqués avec cette touche inimitable de comique, frappé du sens aigu de dérision jusque dans ses rares moments de tendresse authentique.
Magistral talent pour nous communiquer l’inéluctable sens tragique de la destinée de l’homme, nous faire prendre la mesure de l’accablante condition humaine.
Les rôles principaux sont respectivement interprétés par Denis Lavant en Clov, et Frédéric Leidgens, Hamm.
Sous la direction de Jacques Osinski, sans doute fruit d’un long et minutieux travail, l’un comme l’autre surjouent.
Interprètes caricaturaux ils privent ainsi d’authenticité leurs personnages.
Denis Lavant, comme possédé, sans mesure, outrepasse son personnage de Clov jusque dans ses claudications, ses apostrophes, sa soumission ou sa révolte.
Quelle humanité chez Peter Bronke. Son Nagg( le père) prend tout son relief, véritablement émouvant dans son évocation de l’enfance de Hamm, et si comique dans ses dérisoires exigences gourmandes( la dragée) comme dans ses nostalgies sentimentales et matérielles ( le sable à la place de la sciure).
Claudine Delvaux, Nell, la mère de Hamm, moins attachante demeure juste.
Insuffisant pour recréer le sens profond de la pièce, admirablement définie dès cette première réplique de Clov au laconisme définitif:
«ça va finir, ça va peut-être finir».
Amateurs de Beckett s’abstenir:
S’il séduit une partie du public,
cet expressionnisme ralenti ne sied guère au génie irlandais.