En1997, au Palais de Chaillot, je découvrais, avec Gil Roman en interprète principal,
« Le Presbytère n’a rien perdu de son charme, ni son jardin de son éclat ».
Comment l’oeuvre avait-elle traversé deux décennies ?
Inaltérable, nous avons à nouveau perçu et ressenti cet immense message d’amour et d’adieu, cette ode à la vie, cette révolte contre le mal mortel à l’époque invaincu, qui faucha tant de vies à la fleur de l’age : ici Jorge Donn.
Béjart l’aimait, le sida le lui ravît, le maître lui dédia ce ballet.
Associé à cet hommage, Freddie Mercury, le chanteur du groupe « Queen » aussi victime du VIH et disparu au même âge de 45 ans.
Voix singulière et musique rock s’imposent à grands fracas durant la plus grande partie de la soirée.
Les accents déchirants de sublimes passages de Mozart apportent leur note d’infinie tristesse contenue. Ils accompagnent le plus beau solo du ballet, exécuté jadis par Gil Roman et aujourd’hui, sauf erreur de ma part, avec la même intensité bouleversante, par Gabriel Arenas Ruiz.
Symbole de linceul, un morceau d’étoffe blanche. Roulé en boule, envoyé au partenaire comme un ballon, posé sur les épaules tel un châle de prière, drapé avec élégance autour des corps des danseurs, tendu devant eux comme un écran les rendant invisibles, enfin posé au sol, pierre tombale ensevelissant les morts.
Il ouvre et clos la chorégraphie , immaculé d’abord, au final joliment orné de coeurs et autres illustrations d’amour et de paix.
Deux parois rayées façon Buren délimitent chaque côté du plateau.
Des ronds de lumières spectaculaires enferment les soli, dessinent certains espaces scéniques,
le sol s’anime parfois de figures kaléidoscopiques aussi très réussies.
De ce très long ballet, qui n’a en rien perdu de sa puissance évocatrice, impossible de ne pas citer certains des morceaux les plus marquants.
La chorégraphie des corps morts : étendus sur les brancards à roulettes poussés par les infirmiers, les cadavres reprennent vie soudain pour une folle étreinte au milieu des vivants dansant joyeusement : saisissant.
Spectaculaire et dérangeante, l’accumulation, l’entassement de ces corps en slips noirs dans une boite ouverte face à la salle. Ils s’agitent tels les poissons dans un bocal, alors qu’en collant rouge vif, un danseur petit et vif comme une libellule, se livre à un solo virtuose baigné dans son rond de lumière éclatante.
Les ensembles réglés à la perfection, vous emportent dans le rythme échevelé du rock ; cheveux roux jupe noir courte en pointe, telle une fée Carabosse, la mort rôde autour d’un jeune couple de mariés , des sphères évidées contiennent des corps repliés, et plus marquant d’entre tous,
le solo dansé sur Mozart.
Après avoir fait retentir telle une une proclamation sans appel :
« Le Presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat »,
devant de géantes radiographies médicales de dos, jambe, main,
le danseur, Gabriel Arenas Ruiz, déjà cité, s’anime : tremblements, frémissements parcourent ses jambes ou touche l’extrémité des doigts, soubresauts ultimes qui s’opposent à la gestuelles des bras,aux figures dynamiques, aux sauts puissants, tous marques de la rage de vivre.
Un sommet de beauté et d ‘émotion.
Une soirée qui nous fait revivre de riches moments, particulièrement bien servie par une troupe d’un niveau époustouflant.
Maurice Béjart ne s’est pas trompé en choisissant son successeur.
Gil Roman a su préserver le lourd héritage dans toute sa splendeur.
Béjart Ballet revient en février,
Un rendez-vous à noter sur vos tablettes.