Le "Voyage au bout de la nuit", tout comme "Belle du seigneur" sont à mes yeux, en dépit de leur radicale différence, deux sommets de la littérature du XXeme siècle.
Assister à leur massacre en règle à deux semaines d'intervalle ne vous laisse pas indifférent et représente une épreuve qu'il faut dénoncer sans ménagement, car ce "Voyage" n'est qu'un lamentable naufrage.
Déjà, le choix des textes, tâche délicate, s'avère contestable.
Les tableaux se suivent, évoquant la mobilisation et la guerre, puis l'Afrique ( le moins mauvais), l'Amérique et enfin l'installation en France comme médecin des pauvres dans une banlieue ouvrière.
Cela nous donne un tiède brouet, saumâtre et sans saveur, une énumération de situations d'où rien ne subsiste, ni de la flamboyance, ni de la verdeur célinienne.
Jean-François Balmer annone son texte, s'y prend parfois les pieds.
Sa voix atone gomme définitivement toutes les aspérités, les outrances, les trouvailles géniales, le côté baroque incomparable du style célinien.
Ni la boucherie de 14-18, ni le spectacle surréaliste des toilettes publiques de New-York, ni la description à la fois si réaliste et compatissante de la misère des "pauvres" ne ressortent un seul instant des deux heures interminables que dure la représentation.
C'est indescriptible souffrance intellectuelle m'a valu l'exploit de parvenir à m'endormir quelques secondes sur le strapontin le plus inconfortable de tout Paris.
Le "Voyage", ce brûlot, transformé en texte-éteignoir, et le théâtre de l'Oeuvre en passe de devenir la salle des barbituriques en vente libre?
Inacceptable.