Alors pourquoi adapter à la scène son unique roman ?
L’entreprise n’est pas dénuée de risques.
Thomas Le Douarec s’y attaque pour la cinquième fois,
Non sans raison :
Cette « intimité » avec l’œuvre nous en restitue merveilleusement tous les sucs vénéneux, l’intrigue terrifiante, l’ironie dévastatrice.
Harry, un être détestable ? Son cynisme absolu, sa misogynie définitive, son mépris pour ses semblables ne sont que révélateurs du plus profond pessimisme, d’une existence sans joie aucune, moins encore de bonheur.
Dorian, un dandy méprisable, entrainé à tous les excès, dénué de toute conscience, poussé jusqu’au crime, cause du suicide de sa fiancée, assassinant son meilleur ami, puis le frère de sa fiancée, un être abject ?
Vain, l’influence pernicieuse d’Harry est la cause véritable de ce vœu maléfique qui doit lui conserver jeunesse et beauté. Au plus bas de la déchéance, le suicide sera son dernier recours.
Enfin, Basil, le peintre, qui exécute le portrait de Dorian, fasciné par cette beauté qui le bouleverse : l’artiste, le créateur qui ne vit que pour son art, sincère et sensible, confronté à deux oisifs dénués de tout scrupule. Fatal.
Avec pour seul décor quelques éléments significatifs, :une estrade, un canapé tendu d’écossais, trois chaises de velours rouge élimé, un piano droit, et de très beaux costumes d’époque José Gomez parvient avec grand talent à restituer l’ambiance de tous les lieux de l’intrigue : atelier, théâtre minable, salon de la haute société…
Ainsi exactement situés, les personnages prennent vie.
Nous voilà, nous aussi envoutés par Thomas Le Douarec : sa stature, sa voix chaude et enveloppante, sa diction parfaite, son charme corrupteur, son autorité naturelle reflètent toute l’intelligence destructrice qui émane de son personnage. Les pires horreurs sortent de sa bouche telles des laconismes, les suggestions les plus atroces n’entament jamais son imperturbable nonchalance.
Arnaud Denis tient, en alternance, le rôle de Dorian. Parfait physique d’Adonis, aussi séduisant en longue robe de chambre de brocard qu’en costume de chasse et guêtres, sa veulerie et sa perversion n’excluent pas de vrais sentiments vite balayés. Versatilité et faiblesses transparaissent dans le jeu du comédien.
Lucile Marquis et Fabrice Scott quant à eux assurent les autres rôles. Elle tour à tour la fiancée, une prostituée et une duchesse très réussie, lui le peintre, caractère entier, le frère de la fiancée et un pianiste.
Si Thomas le Douarec ne dissimule rien des attirances physiques comme des relations ambigües ressenties entre les trois personnages masculins, sa mise en scène en maitrise élégamment les manifestations, comme elle regorge d’idées bienvenues : placé, côté jardin, en bordure de plateau, dos au public, le portrait fatal ne sera visible, le rideau ouvert, que des protagonistes ;
ou charmantes : telle cette séance de teintures faites par Harry et Basil peignant tranquillement, tout en devisant, leur barbe avec du blanc pour signifier leur vieillissement.
Aboutie, juste dans l’esprit comme dans la forme, l’adaptation de Thomas Le Douarec « métamorphose », le roman en véritable pièce de théâtre.
Un très beau travail qu’il faut saluer ;
Un succès plus que justifié auprès du public,
Et puis cette envie de se replonger dans les délices de Wilde pour en prolonger l’incomparable saveur.