Dès le lever de rideau, en costume d’époque, l’Argan d’André Marcon s’impose.
Dans l’énumération détaillée de ses médecines du mois et leur coût qu’en bon bourgeois parcimonieux il discute immanquablement avant d’en noter sur un registre la somme puis d’en régler le montant systématiquement diminué,
Le comédien confère aussitôt au personnage toute sa puissance comique et la profondeur de sa folie.
Voilà bien notre Argan « embéguiné » par la faculté.
Un aveuglement qui mènera notre homme aux pires extravagances, aux excès les plus détestables avec sa famille.
Usant et abusant de ses prérogatives, déshériter ses filles au mépris des lois au profit d’une seconde épouse enjôleuse, contraindre l’ainée à un mariage forcé avec un docteur pour se faire soigner gratis, envisager de promettre la plus jeune à un apothicaire pour parfaire son confort,
N’éveillent chez lui aucun scrupule, ne suscitent pas l’ombre d’un doute.
Dans son ultime chef d’œuvre, notre auteur à bout de forces, mari malade et vieillissant d’une jeune épouse coquette et volage qui lui cause bien des peines,
Sans oublier le philosophe « libertin », l’homme éclairé, dénonciateur de toute forme d’obscurantisme et d’abus de pouvoir,
Molière ose cette ultime transgression, cette dernière provocation :
Singer, brocarder, se moquer, tourner en ridicule la Faculté.
Incompétence, vénalité, sottise, ignardise « criminelle »
deviennent sujets d’une farce burlesque aux accents tragiques : la mort de Molière après la quatrième représentation.
Davantage enclin à monter des auteurs modernes,
Michel Didym a découvert « Le Malade » sur son lit d’Hôpital.
Pris de « Passion » pour la pièce, il en restitue avec beaucoup d’esprit les intermèdes dansés et musicaux voulus par le dramaturge, nous ménage un final d’un comique absolu.
Autre scène admirablement rendue : celle de la petite Louison face à son père menaçant. Lou Vilgard-Nizard, mignonne à croquer avec sa chevelure d’or, sa voix exquise, son innocence feinte, est un prodige de fraicheur devant le vieil acariâtre dont elle se joue.
Michel Didym ne trahit jamais. Il perçoit d’expérience toutes les faiblesses du personnage. Avec André Marcon, notre Argan ne souffre d’aucune mutilation.
Prodiges de sottise, d’assurance bornée, de prétendu savoir, ses Diafoirus et Purgon déploient leur incompétences notoires et prétentieuses avec ridicule, parfois surprenants ;
Aussi comment ne pas regretter sincèrement un certain déséquilibre dans la distribution des personnages féminins. On aurait souhaité une Angélique plus séduisante, avec une voix moins métallique ; une Toinette moins braillarde, plus ronde, plus comique encore dans la scène du « Poumon » ; une Béline onctueuse à souhait face aux déclarations énamourées de son benêt d’époux qu’elle dépossède allègrement.
Beau et simple décor de Jacques Gabel, sans autres meubles que le fauteuil, une table et deux banquettes intelligemment utilisés dans un espace fermé par une paroi vieil or composée d’indécelables franges qui s’ouvre et s’animent fort à propos.
Pour les costumes, Anne Autran, décline et mélange étrangement les époques : uniformes d’apparat chamarrés pour les Diafoirus père et fils, ensemble du soir très Paul Poiret pour Béline, redingote romantique pour Cléante, veste de velours et écharpe germanopratine pour Béralde complètent les habits d’époque de Toinette, Purgon et Argan. Curieux effets…
Mais voilà bien les remarques d’un esprit vétilleux.
S’il boitille, notre « Malade » réchappe allègrement du traitement de Michel Didym.
Par les temps qui courent, sachons lui en savoir gré.